Cela aurait pu être un conte
amoureux, la belle et douce histoire de la rencontre de deux parias. Mais le
dernier roman de Ron Rash, Une terre d'ombre, est d'une autre
nature, une puissante tragédie de l'intolérance et de la bêtise dans l'Amérique
rurale du siècle dernier…
Alors que les romans
français ayant pour cadre la Première Guerre mondiale se multiplient en cette
année de centenaire, on oublie souvent que la grande guerre eut aussi des
combattants, et des conséquences, outre-Atlantique. C'est un des (nombreux)
mérites d'Une terre d'ombre que de le rappeler. Non pas que les combats y
occupent une place, nullement, mais parce que le conflit a fait perdre une main
à l'un des personnages centraux, Hank, précipitant son retour dans le vallon des
Appalaches à la mauvaise réputation où vivait sa famille. N'y demeure que sa
sœur, Laurel, considérée comme une sorcière en raison d'une tache de naissance
qui lui couvre une partie de son bras et son cou, Laurel qui à cause de cela ne
pourra jamais se marier, Laurel la paria qui va s'éprendre d'un curieux
étranger, un joueur de flûte mutique dont on apprendra qu'il est en fait un
exilé allemand… Et l'on retrouve là les échos de la guerre en cours en Europe :
ce ne sera pas sans lien avec la tragédie qui s'approche… Après les formidables
Un pied au paradis et Le Monde à l'endroit, Ron Rash confirme
ici la puissance de son inspiration et la force de son écriture, maniant le
lyrisme comme la noirceur, faisant glisser, insensiblement mais inéluctablement,
son conte vers le drame pour cause de superstitions ancestrales, de xénophobie,
de non-dits familiaux, de bêtise d'une foule déchaînée. Avec Une terre d'ombre, Ron Rash prouve à qui
aurait pu en douter, qu'il est bien l'une des grandes plumes de l'Amérique d'aujourd'hui.
Ron Rash, Une
terre d'ombre, éd. Le Seuil, 20 €.
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